HORS-SÉRIE : partager sans se trahir

A l’ère du numérique, où tout semble aller très vite, nous consommons de plus en plus de savoirs scientifiques.

Dans un des podcasts du professeur et éminent imam Kadjoura Baradji, celui-ci développe une réflexion autour d’un hadith nabawi.

Le Hadith est le suivant :

Un homme interrogea l’envoyé de Dieu : « Vois-tu, lui dit-il, si j’accomplis les prières prescrites, si je jeûne le mois de Ramadan, je rends licite ce qui est licite, rends illicite ce qui est illicite, sans rien ajouter à cela, entrerai-je au Paradis ?

« Oui, répondit le Prophète » »

Dans l’esprit de la question du compagnon, on peut y lire une pensée profonde : vers quoi dois-je tendre au quotidien ?

L’essentiel ne nous suffit plus aujourd’hui, nous souhaitons toujours faire plus, contrairement à l’image de ce Hadith.

Il postule qu’au moment où nous cherchons sans cesse à faire davantage - plus de bonnes actions, plus de livres, plus de podcasts - il serait intéressant de chercher à faire mieux plutôt que plus.

Et finalement, n’est-ce pas là le noyau de notre vie? Apprendre à faire mieux?

Sachant que le mieux est l’ennemi du bien, l’objectif n’est pas de tendre vers un perfectionnisme absolu, qui bloque et crée des croyances limitantes.

Depuis le début de mon contenu sur les réseaux sociaux, l’idée a toujours été le partage.

Je suis passionnée par l’apprentissage et la compréhension. Chaque découverte sur le fonctionnement du cerveau humain est pour moi comme la révélation d’une nouvelle facette du monde. Cela me donne la sensation d’une nouveauté infinie, que tout est accessible, comme lorsque, enfant, tu observais un petit bonheur.

Alors, le partager est la continuité logique. Donner un savoir, c’est parler de cœur à cœur ; c’est le transmettre mais avec son propre langage : le langage du cœur. Parce que tout ce qu’on transmet porte une nouvelle couche, imprégnée de notre propre encre - en somme, de notre histoire personnelle, de nos vulnérabilités et de notre propre personnalité.

Alors, lorsque je partage, je donne une part de moi-même, quelque chose qui m’a accompagné, que j’ai poli, puis que je transmets. C’est finalement ça l’histoire du partage : nous recevons pour donner.

Lorsqu’une idée me traverse l’esprit, je l’écris, puis je plonge dans la réflexion pendant des mois. Tout ce qui m’arrive ensuite est lu à la lumière de cette idée. Je m’y investis corps et âme : je me renseigne, j’en parle autour de moi, je lis, j’écoute, et enfin, j’écris. Cet exercice est ce qui me passionne le plus.

Mais force est de constater que ce type de partage n’est pas le plus attrayant : lire, c’est intéressant, mais nous préférons désormais les résumés, comprendre rapidement, posséder le nectar du savoir et passer au suivant - un peu comme Instagram : lire un post, puis le suivant, puis un autre… Sans y lire les sous-entendus, sans s’arrêter sur chaque mot, sur chaque phrase et chaque sens.

Les lettres disjointes du Coran nous enseignent ceci : chaque lettre a son importance. Et que pour comprendre le monde, je dois m’arrêter sur tout. Tout est un signe autour de nous, de la plus petite feuille, au plus grand arbre.

Prenons nos aînés et savants prédécesseurs : de Nouman Ali Khan à Sofiane Meziani, en passant par Hamza Yusuf ou Abdel Hakim Mourad. Aucun d’eux n’a cédé à ce mode de partage forcé, vidé de sens, dont l’unique but serait de partager pour partager.

Alors je me demande : serait-ce me trahir que de répondre à la demande d’un contenu quantitatif au détriment du qualitatif et du profond ?

Jusqu’où aller dans le partage du savoir sans trahir l’essence de ce qu’on veut transmettre?

Finalement, le savoir est une lumière. Et une lumière ça ne se consomme pas : ça se contemple, ça s’intègre, ça éclaire lentement.

Me trahir, ce serait oublier cette lumière pour suivre le flux.

J’aime l’ère du numérique - cet essai n’étant pas une énième critique des réseaux sociaux -, mais il faut simplement se questionner sur notre rapport à ces derniers.

Il faut ainsi réinventer le format du partage : partager de manière plus lente mais plus profonde, avec des contenus qui ne répondent pas forcément à la logique de la consommation rapide, mais à un rythme plus réfléchi, fidèle à l’essence du savoir.

Le partage ayant une importance fondamentale pour moi, il me semble essentiel de rester fidèle à ce qui me plaît.

Les romans modernes éveillent ma curiosité, mais les classiques nourrissent mon âme. Et c’est un peu pareil pour mes partages : les formats contemporains m’inspirent, mais les essais traduisent plus fidèlement ma pensée.

C’est pourquoi, pour tout acte que nous accomplissons, il faut chercher le sens.

Une professeure, et très chère amie, nous a donné ce premier devoir spirituel : pour chaque action que nous faisons (écouter une vidéo, lire un livre, suivre un cours, etc.), mettons-y un sens et questionnons-nous : pourquoi je le fais?

Si je n’y trouve pas de sens construit, alors je le développe.

Car c’est en donnant du sens que chaque geste, même infime, devient un acte de présence.

Depuis que j’ai intégré cette réflexion, j’écris plus lentement, je savoure chaque partage, je publie moins mais mieux, et je vis davantage que je ne transmets.

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