Psychologie du cycle : vivre en accord avec son rythme
Sur les réseaux sociaux, ces derniers mois, nous sommes submergés par une nouvelle conception de la féminité : « vivre selon sa féminité », accorder son mode de vie à ce que le corps féminin contient et traverse.
En y réfléchissant, il m’est venu à l’idée de faire un essai pour interroger ce que révèle notre rapport au corps, au temps et à la psychologie du féminin.
En somme, ce n’est pas nouveau de comprendre que la société et le système dans lesquels nous vivons ne correspondent pas à notre rythme biologique et émotionnel. Les recommandations, les conseils ou les modes de vie sont la plupart du temps très rigides et complexes et ne prennent pas en compte l’instabilité physique et émotionnelle du corps féminin. Les femmes, porteuses en grande partie de la société, vivent une périodicité propre, un rythme cyclique que la norme sociale tente d’uniformiser. Et nous sommes parfois tentés de vivre « comme si de rien n’était » : avec nos propres routines, notre rythme de travail et une discipline très rigide, dans une temporalité qui ne correspond pas à notre biologie.
Le corps d’une femme est donc cyclique, il possède plusieurs cycles et n’est pas linéaire. Cette conception du rythme, en spirale, est une force et pour qu’elle en devienne une, il est nécessaire d’en comprendre les phases et d’en extraire des adaptations.
PARTIE 1 : comprendre les cycles
Nos émotions devraient être perçues comme des saisons intérieures plutôt que comme des montagnes russes.
Dans un précédent article, je postulais que le temps devait être pensé comme un cercle, et non comme une ligne. Ici, c’est la même logique : les cycles ne sont pas faits pour être “contrôlés”, mais compris.
Le cycle menstruel dure en moyenne 28 jours, avec des variations selon les femmes. Il se découpe en quatre phases principales, chacune ayant sa propre dynamique hormonale et émotionnelle.
L’hiver intérieur :
La phase la plus « connue », est ce qu’on nommera « l’hiver intérieur » et est la phase menstruelle. Cette phase durant de trois à sept jours possède une chute de la progestérone et des œstrogènes (deux grandes hormones du cycle). Le corps ressent une grande fatigue, un besoin de repos et de chaleur et des douleurs. Au niveau psychologique, nous sommes en introspection et l’on ressent souvent une hypersensibilité. Le corps est en train de se régénérer, il n’y a donc pas beaucoup d’énergie. Comme l’hiver, c’est le moment où tout semble figé mais où la régénération commence en silence.
Le printemps intérieur :
La phase qui suit est le printemps intérieur, la phase folliculaire. Elle dure entre sept à huit jours après la phase menstruelle. Ici, il y a une hausse des œstrogènes et une montée progressive de la FSH : hormone folliculo-stimulante. Physiologiquement parlant, les ovaires préparent la libération d’un ovule. Il y a un regain d’énergie, de motivation, une clarté mentale et une meilleure humeur. Au niveau psychologique, il y a un nouvel élan (optimisme, créativité, ouverture).
Concrètement, c’est le moment pour planifier sa semaine, écrire ses objectifs, faire du sport.
L’été intérieur
Puis nous avons la phase ovulatoire qui correspond à notre été. Elle dure de trois à cinq jours, il y a un pic d’oestrogènes et une sécrétion de LH : hormone lutéinisante. L’ovule se libère à ce moment.
L’énergie est à son maximum. Émotionnellement, nous nous sentons plus stables, plus sociables et nous possédons plus d’empathie et de patience.
L’automne intérieur
Enfin, nous avons la phase lutéale, notre propre automne. Durant dix à quatorze jours, il y a une progestérone élevée. Le corps se prépare à l’éventuelle menstruation et il y a une tension au niveau du corps, une fatigue et une baisse de tolérance au stress.
On retrouve l’hypersensibilité qui peut être très souvent présente pendant cette phase, un besoin de solitude et une énergie qui est décroissante. Ce serait comme un bilan émotionnel, comme si tout ce qui n’a pas été réglé dans le mois remonte à ce moment. On peut se sentir facilement irritable ou triste.
Il serait intéressant ici d’avoir des temps de pause, d’être dans des moments de pleine conscience et de méditation.
Les données qui confirment cette réalité :
Nous observons ici tout d’abord un cycle permanent et un changement constant des émotions et sensations physiques. Dans l’article Affect and the menstrual cycle (L. Dennerstein & G.D Burrows), les auteurs observent des variations affectives selon les phases du cycle : irritabilité, anxiété, changement d’humeur surtout en phase prémenstruelle / menstruelle et plus de vitalité ou d’humeur positive en phase folliculaire ou autour de l’ovulation (1979).
Également, dans un article plus récent (2019), les auteurs analysent des données d’application menstruelle de plus de 378 000 utilisateurs pour observer les changements hormonaux dus aux cycles (Kathy Li et al., 2019).
Pourtant, malgré ces données, peu de femmes organisent leur vie autour de ces rythmes. Le corps féminin n’est pas linéaire et pourtant, tout dans notre société nous pousse à l’être. Il y a donc un double effort à faire de notre côté : non seulement comprendre notre corps mais également s’y adapter.
PARTIE 2 : s’adapter à ses cycles
Après avoir compris et intégré tes changements hormonaux dans ta façon d’organiser tes semaines, il faut réussir à s’adapter à ces derniers.
Tout d’abord, pendant ta phase menstruelle, il est important de ralentir. De privilégier un repos, du sommeil, et des activités lentes. Il y a, pendant cette période, beaucoup de pensées anxiogènes et de symptômes de tristesse. Pour te distancer et adopter une vision plus saine, il y a la méditation et l’écoute de soi qui peuvent t’aider. Il faut apprendre à entendre tes limites pour les écouter et ne pas t’en demander plus que tu ne peux. Sinon, tu puiseras de l’énergie que ton corps n’a plus, ce qui te fatiguera encore plus.
Accorde-toi le droit au rien. Tu as le droit, et tu devrais, te reposer et ralentir. Cette phase n’est pas improductive. Elle te prépare au renouveau du prochain cycle, tu auras besoin d’énergie, de force et de motivation et tu dois donc prendre ce temps pour emmagasiner de l’énergie. Finalement, c’est comme se mettre en priorité pour ensuite faire face aux épreuves de la vie. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la spiritualité islamique t’interdit de prier. La prière, qui est habituellement le curseur entre une personne non pratiquante et une personne pratiquante, est à cette période, non autorisée. C’est un signe de Dieu qui t’invite à ralentir et à te reposer.
Ensuite, pendant la phase folliculaire, ton corps et ton esprit sortent progressivement de la période de repli. C’est une phase de renouveau et de regain d’énergie. Profite de cette dynamique pour planifier, organiser et initier de nouveaux projets. C’est souvent un moment où la concentration, la motivation et la créativité sont plus présentes : écris, crée, apprends, structure tes idées.
Cette clarté mentale t’aide à poser des bases solides pour la suite, tout en gardant un rythme équilibré — inutile de tout accélérer, avance simplement avec intention et cohérence.
La phase ovulatoire correspond à un moment d’ouverture et de rayonnement. C’est une période où l’on se sent souvent plus disponible, communicative et confiante. Profite de ce moment pour échanger, collaborer, transmettre tes idées et renforcer tes liens sociaux. C’est aussi un bon moment pour organiser des rencontres, prendre des rendez-vous ou présenter tes projets : tu es naturellement tournée vers les autres.
La phase lutéale, elle, marque un retour vers soi. Le corps et l’esprit ralentissent, demandant davantage de calme et d’écoute. Il est fréquent de se sentir plus sensible ou plus fatiguée : ce n’est pas une faiblesse, mais un signal du corps. Les émotions qui refont surface ne sont pas des “crises”, ce sont des indicateurs précieux. Apprends à les accueillir sans jugement, elles t’aident à comprendre ce qui a besoin d’être ajusté.
Cette nouvelle manière d’envisager ton cycle s’inscrit pleinement dans la réflexion que je développe sur le temps. Si nous apprenons à reconstruire nos semaines en fonction de nos rythmes internes, et à nous adapter consciemment à nos cycles, nous cessons de subir le temps : nous le reprenons en main.
C’est là tout l’enjeu : interroger ce que nous tenons pour acquis, jusqu’à notre rapport le plus intime au temps et au travail. En réapprenant à écouter nos cycles, nous redéfinissons ce que signifie être disciplinée : non pas en se forçant à suivre un rythme extérieur, mais en disciplinant notre écoute de nous-mêmes.
PARTIE 3 : les outils psychologiques qui peuvent t’aider
Vivre en accord avec ses cycles ne se résume pas à observer ses symptômes, c’est une pratique d’écoute de soi, une façon de renouer avec la fluidité. Les variations hormonales influencent nos émotions, notre énergie, nos besoins relationnels, mais elles ne sont pas nos ennemies comme on peut nous le faire croire. Elles deviennent des indicateurs : elles montrent ce dont ton corps et ton psychisme ont besoin à chaque étape.
Le premier pas est de reconnaître ses propres schémas, il faut donc s’observer et se poser des questions types :
quand suis-je naturellement plus créative?
À quel moment je ressens le plus de fatigue, d’irritabilité ou de repli?
Quelles activités me ressourcent selon chaque phase?
Tenir un journal en y inscrivant tes cycles avec tout ce qu’ils possèdent (tes émotions, ton énergie, ton sommeil, tes interactions sociales) te permettra de créer une carte personnelle de tes fluctuations.
Aussi, apprends à redéfinir la productivité. Notre société valorise la constance, c’est-à-dire être performante tous les jours. Mais la psychologie du cycle t’invite à redéfinir la performance comme cohérente. Ainsi, être alignée serait d’apprendre à produire quand ton énergie est haute, à préparer quand elle descend, et à te reposer quand ton énergie se régénère. C’est une forme de maturité émotionnelle : accepter que la valeur ne réside pas dans la quantité mais dans la justesse.
Un autre outil psychologique est de transformer la phase sensible en espace de soin. La période menstruelle et prémenstruelle est souvent redoutée et à juste titre. Pourtant, elle est l’espace où nos émotions se révèlent.
Les émotions y sont amplifiées, non pas pour te submerger mais pour ralentir volontairement, accueillir tes émotions sans les justifier et exprimer ce qui a besoin de sortir - par l’art, la parole, l’écriture ou même la prière.
Enfin, en comprenant tes cycles, tu réhabilites la part du féminin souvent dévalorisée : la lenteur, la transformation, la réceptivité. Tu fais la paix avec ton corps et ce qu’il contient. Ton corps te chuchote le même message chaque mois : tout change et tout revient. Ces phases ne doivent plus être considérées comme des contraintes : en apprenant à vivre avec elles, tu apprendras à les voir comme des forces.
Finalement, comprendre ses cycles, c’est adopter une lecture plus fine de sa réalité psychique. Reconnaître ces mouvements, c’est refuser l’idée d’un soi stable et performant en permanence, et revenir à une logique plus humaine - celle du rythme, de la variation de nos vagues et de la régulation. C’est une forme de réconciliation entre la biologie et la psychologie.