Le culte de la médiocrité
Durant le 14ᵉ siècle, avec la construction de l’Alhambra de Grenade en Espagne, les Arabes excellaient dans leur travail. Tant ce dernier était minutieux, bien fait et beau, qu’on qualifiait ce travail de « travail d’Arabe ». Puis, la colonisation de l’Afrique du Nord a renversé la tendance et instauré, comme nous ne pouvons que trop bien le savoir, un racisme décomplexé et banalisé. Cette expression est donc devenue péjorative, signifiant un travail bâclé et mal fait.
Si, pendant plusieurs décennies, le trait de caractère qui impressionnait était l’intelligence, ou du moins la capacité à activer son intellect et donc à réfléchir, ce n’est plus du tout le cas. Nous avons introduit dans notre société un culte de la médiocrité.
Nous, très chers humains dont le seul but semble être de comprendre ce dernier, sommes connus pour faire quelque chose de très simple : réfléchir. Il m’est très impressionnant de voir autour de moi, ou dans mon entourage, des personnes se complaire dans la médiocrité que nous avons développée, si ce n’est pour toucher son paroxysme en cette génération.
Nous vivons dans une société où tout nous est accessible : formations, livres, vidéos, personnes de savoir. Nous sommes entourés de nuages de connaissances sans fin, et nous y baignons littéralement. Et si Gandhi nous disait d’être le changement que nous voulons voir dans le monde, essayons de percevoir les méandres de cette manière de vivre.
Tout nous est tellement accessible que nous avons perdu le goût de la recherche et nous prenons pour acquis ce qui nous entoure. Prenons le savoir religieux. Il fallait, anciennement, parcourir des milliers de kilomètres pour développer une matière auprès d’un professeur. Ce savoir avait un sens, un cheminement long, et les gens étaient prêts à voyager pendant des mois pour s’abreuver de connaissances. À la fin de ce cheminement, il leur fallait retourner à leur habitation, ce qui reprenait encore des mois de voyage. Le savoir était donc mérité, réfléchi et médité. Nous avons ce même savoir autour de nous, mais a-t-il le même goût quand il est aussi accessible ?
Ce savoir accessible en quelques clics ne me semble pas dénué de sens, encore faut-il y apporter un effort intellectuel. Là est le noyau central de mon article. Je ne suis pas là pour dépeindre les fléaux de notre génération, mais plutôt pour développer des observations qui traînent dans mon cerveau et dans mes notes depuis un peu trop longtemps.
Le problème n’est pas tant dans l’abondance du savoir qui nous entoure et que nous ne prenons pas le temps d’intégrer, mais plutôt dans les conséquences psychiques de ce fait : nous sommes habitués à tout obtenir rapidement (chatGPT en est la personnification parfaite), de la nourriture au savoir. Il nous est donc insupportable de devoir effectuer un effort pour obtenir des informations. De ce fait, lorsque nous avons une question, il nous faut la réponse immédiatement.
Plus nous continuons à nous complaire dans l’absence de questionnements, plus il nous sera difficile de nous interroger, de réfléchir, et donc d’activer notre intellect. Moins nous réfléchissons de nous-mêmes, moins notre intellect est activé. Cette corrélation positive postule que si nous inversions la tendance et commencions à nous questionner, notre intellect s’activerait et la partie de notre cerveau liée à l’activation de l’intellect se développerait. Ne trouvez-vous pas aberrant qu’on puisse poser des questions alors que la réponse a été donnée quelques secondes auparavant ? Ou encore qu’on puisse lire des personnes sur le net dire « j’ai entendu telle chose… j’ai lu telle chose… » sans pour autant être capables ou vouloir questionner et réfléchir sur ce qui est amené ?
Nous pouvons ici nous demander : quelle est l’utilité d’aller chercher par nous-mêmes ou de réfléchir ?
Le fait est que nous ne réfléchissons plus vraiment, comme nous venons de le voir et de le décrire. Nous semblons vivre de manière apaisée. Alors, nous pouvons nous demander : quelle serait l’utilité d’activer notre intellect lorsque tout nous est à portée de main ? Pour cela, il est important de revenir à la source et à notre guide quotidien, que dis-je, à notre boussole qui va largement au-delà des calculs des astronomes basés sur les étoiles : l’essence de la vie, et nous parlons ici bien évidemment du Divin.
Quid des textes et de l’importance de la réflexion ?
Albert Camus disait que mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Nous allons donc revenir sur des termes importants et quoi de mieux pour cela que d’utiliser notre guide :
Importance sur le plan psychique de réfléchir et sur le plan spirituel :
Nous allons utiliser deux signes/ayah qui m’animent et qui apportent des éléments de réponse :
Le premier se trouve dans la sourate 96, qui porte le nom de ce que nous allons développer : Al-Alaq. Nous nous basons ici sur la traduction de notre cher Maurice Gloton, rahimahullah.
Verset 1 :
« Au nom du Tout Rayonnant d’Amour, du Très Rayonnant d’Amour, Récite au nom de Ton Seigneur qui a créé. Il a créé l’humain d’une adhérence. »
Ce signe est assez connu car il s'agit de la première révélation faite à notre très cher Prophète Muhammad ﷺ : « Récite au nom de Ton Seigneur qui a créé. »
Le second signe que nous allons lire se trouve dans la sourate Al-Baqarah, il s’agit de l’ayah 164 :
« Vraiment, pour ceux qui réfléchissent : il y a des signes dans la création des cieux et de la terre, dans la succession de la nuit et du jour, dans le navire qui vogue sur les flots avec ce qui est utile aux humains, dans l’eau qu’Allah a fait descendre soudainement du ciel et par laquelle Il a vivifié la terre après qu’elle a été stérile, et sur laquelle Il a dessiné toutes sortes de bêtes, dans la variation des vents et des nuages, disposés pour servir entre le ciel et la terre. »
Le mot utilisé pour parler de l’intellect est AQL. Ce mot provient de la racine A3 QA LA, qui signifie plusieurs choses : faire le lien, lier les idées, faire preuve d’intelligence. On entend par là une forme d’analyse.
Ainsi, dans l’ayah, des signes sont offerts à ceux qui prennent la peine de faire des liens et donc de réfléchir. Par ce mot, nous comprenons que faire preuve d’intellect ne découle pas d’un processus automatique mais est le résultat de notre volonté. Il nous faut réfléchir et nous questionner pour faire preuve d’intellect. Ces deux concepts sont intercorrélés.
Les exemples cités sont à la portée de celui qui veut.
Jacques Brel disait que la bêtise est de la paresse, et cela s’illustre par une personne qui lit et qui se dit : « Ça me suffit. »
J’aime aller dans ce même sens, tout en nuançant : l’absence de connaissance est, selon moi, une paresse — et non de la bêtise — et est le résultat de tout ce qui nous entoure et que nous avons développé en introduction.
Concrètement, comment faire preuve d’intelligence et activer notre intellect ?
Tout d’abord, il faut nous questionner sur ce qui nous entoure. Remettons de l’importance dans le fait de se questionner : il faut questionner le film qu’on vient de voir, nous poser des questions sur ce que nous n’avons pas compris, sur les animaux que nous voyons, sur les aliments que nous mangeons, sur le psychisme de ceux qui nous entourent. Des détails très simples, mais emplis de profondeur, auxquels nous ne prêtons que très peu attention.
Aussi, chercher est une condition sine qua non aux questionnements : lorsque nous arrivons à ces questions sur ce qui nous entoure, des réponses sont en nous-mêmes, mais il faut aussi aller chercher des réponses via de nombreuses sources.
Pour activer notre intellect, il est important de ne pas tout prendre pour acquis et de remettre en question certaines réponses que nous pensons véridiques. Par exemple, l’une des premières choses que nous apprenons en psychologie est de tout remettre en question : ce que nous apprenons en cours, mais aussi ce que nous allons apprendre dans les années qui suivent. Il est important de faire un point sur nos connaissances, les questionner, aller chercher des réponses et remettre en question ce que nous avons en tête.
Pour illustrer, prenons le statut d’un enfant qui pose sans cesse des questions et qui a un émerveillement pour tout ce qui l’entoure, tant il ne prend pas tout ça pour acquis.
Nous le savons que trop bien, tout n’est qu’éphémère et tout ce que nous possédons ici n’est réellement qu’un emprunt. Nous avons ainsi l’immense responsabilité de prendre soin de tout ce que nous possédons, que ce soit notre santé, notre corps ou notre intellect. Nous avons pris l’habitude de prendre pour acquis ce concept sublime, mais il est important de revenir sur celui-ci.
Au niveau du cerveau, et donc de notre psychologie de manière très scientifique, l’une des parties les plus responsables de l’intelligence est notamment le lobe frontal et le cervelet. Connus pour se développer jusqu’à nos 25 ans, ces derniers ont cependant besoin d’aliments pour être activés. Tout comme la dopamine ne se libère pas toute seule, elle a besoin d’un stimulus, il en est de même pour le lobe frontal et le cervelet. Par exemple, en réfléchissant, nous activons ces structures cérébrales. Plus nous les activons, plus elles seront stimulées, et donc nous aurons accès à notre intellect plus souvent et plus rapidement.
Ainsi, nous sommes responsables de notre intelligence et de l’activation de notre intellect. Pour rester factuel, je n’ai pas évoqué le domaine de l’intelligence émotionnelle, qui se développe grâce à l’activation de l’intellect par la même occasion. Il est de notre devoir de remettre du sens dans notre quotidien, et cela passe indéniablement par réfléchir et ne plus laisser notre cerveau en pilote automatique.